« Pâques sans ciel : les cerfs-volants haïtiens à l’épreuve de l’insécurité »

Chaque année, la Semaine sainte en Haïti était autrefois synonyme d’un spectacle haut en couleur : des enfants courant dans les rues avec leurs cerfs-volants faits main, des familles rassemblées sur les collines, des rires portés par le vent et des ciels bariolés au-dessus des toits. Le « kap », symbole de créativité, de liberté et de spiritualité populaire, était bien plus qu’un simple jeu : c’était une tradition culturelle, un rite de passage, un souffle d’innocence.

Mais cette tradition s’efface à mesure que l’insécurité progresse. En 2025, dans de nombreuses zones du pays – notamment à Port-au-Prince, Croix-des-Bouquets, Carrefour, Cité Soleil et même dans certaines zones rurales – ce ne sont plus les rires d’enfants ni le bruissement du papier dans le vent que l’on entend, mais les tirs, les projectiles, les rafales d’armes automatiques qui dominent l’espace sonore. Les enfants, naguère les héros de ce ballet aérien, restent aujourd’hui cloîtrés chez eux, tenus éloignés des rues devenues trop dangereuses.

Une tradition clouée au sol

La montée des gangs armés, les kidnappings, les échanges de tirs incessants et le climat général d’instabilité ont progressivement cloué au sol cette tradition joyeuse. « M’ pa ka kite pitit mwen monte kap sou do beton ankò. Tale li pran yon bal mawon deja. Pa menm gen lopital pou mennen li si sa ta rive ankò », témoigne une mère de famille, la voix pleine de crainte. Même les tentatives communautaires d’organiser des concours ou des rassemblements autour des cerfs-volants ont été abandonnées dans plusieurs quartiers.

Autrefois, les cerfs-volants servaient à faire le lien entre les générations : les plus jeunes apprenaient à les fabriquer auprès de leurs aînés. On récupérait des baguettes de bois, du plastique, du papier de riz ou du tissu, et on bricolait, ensemble. Ce moment d’unité a laissé place à l’isolement, à la méfiance, à l’angoisse permanente. Dans certaines régions, la fête pascale elle-même a été réduite à son strict minimum, vidée de toute effervescence populaire.

Mémoire en danger

Les cerfs-volants haïtiens sont aussi des témoins silencieux d’une mémoire collective. Ils portaient souvent des messages, des slogans, des vers bibliques ou des dessins abstraits. Ils étaient parfois l’expression d’un rêve de liberté, d’un cri d’espoir lancé vers le ciel. Aujourd’hui, cette voix est étouffée par le vacarme des armes.

Plus encore, c’est la culture populaire haïtienne dans son ensemble qui se voit menacée par cette insécurité chronique. Quand une tradition comme celle des cerfs-volants disparaît, c’est une part de l’âme du pays qui s’effrite.

Résister par la mémoire

Certains tentent toutefois de résister, à leur façon. Sur les réseaux sociaux, des Haïtiens en diaspora postent des photos de cerfs-volants en hommage à cette tradition d’antan. Des enseignants racontent à leurs élèves ce que représentait autrefois ce rituel pascal. Et dans quelques rares zones épargnées par la violence, quelques cerfs-volants ont encore osé se faufiler dans le ciel cette année. Mais ces images restent l’exception.

L’insécurité n’a pas seulement pris des vies, elle a volé des rêves, des symboles, des repères. Le cerf-volant – symbole de légèreté et de liberté – incarne aujourd’hui ce que l’Haïtien a perdu de plus précieux : sa tranquillité d’esprit et la joie simple de vivre ses traditions en paix.

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